Romans et Contes by Gautier Théophile

Romans et Contes by Gautier Théophile

Auteur:Gautier Théophile
La langue: fra
Format: epub
Tags: Romans et Contes
Éditeur: Ligaran
Publié: 2014-02-08T05:00:00+00:00


XI

Le lendemain de cette scène, Alicia, dont la nuit n’avait pas été bonne, effleura à peine des lèvres le breuvage que lui offrait Vicè tous les matins, et le reposa languissamment sur le guéridon près de son lit. Elle n’éprouvait précisément aucune douleur, mais elle se sentait brisée ; c’était plutôt une difficulté de vivre qu’une maladie, et elle eût été embarrassée d’en accuser les symptômes à un médecin. Elle demanda un miroir à Vicè, car une jeune fille s’inquiète plutôt de l’altération que la souffrance peut apporter à sa beauté que de la souffrance elle-même. Elle était d’une blancheur extrême ; seulement deux petites taches semblables à deux feuilles de rose du Bengale tombées sur une coupe de lait nageaient sur sa pâleur. Ses yeux brillaient d’un éclat insolite, allumés par les dernières flammes de la fièvre ; mais le cerise de ses lèvres était beaucoup moins vif, et pour y faire revenir la couleur elle les mordit de ses petites dents de nacre.

Elle se leva, s’enveloppa d’une robe de chambre en cachemire blanc, tourna une écharpe de gaze autour de sa tête, – car, malgré la chaleur qui faisait crier les cigales, elle était encore un peu frileuse, – et se rendit sur la terrasse à l’heure accoutumée, pour ne pas éveiller la sollicitude toujours aux aguets du commodore. Elle toucha du bout des lèvres au déjeuner, bien qu’elle n’eût pas faim, mais le moindre indice de malaise n’eût pas manqué d’être attribué à l’influence de Paul par sir Joshua Ward, et c’est ce qu’Alicia voulait éviter avant toute chose.

Puis, sous prétexte que l’éclatante lumière du jour la fatiguait, elle se retira dans sa chambre, non sans avoir réitéré plusieurs fois au commodore, soupçonneux en pareille matière, l’assurance qu’elle se portait à ravir.

« A ravir... j’en doute, se dit le commodore à lui-même lorsque sa nièce s’en fut allée. – Elle avait des tons nacrés près de l’œil, de petites couleurs vives au haut des joues, – juste comme sa pauvre mère, qui, elle aussi, prétendait ne s’être jamais mieux portée. – Que faire ? Lui ôter Paul, ce serait la tuer d’une autre manière ; laissons agir la nature. Alicia est si jeune ! Oui, mais c’est aux plus jeunes et aux plus belles que la vieille Mob en veut ; elle est jalouse comme une femme. Si je faisais venir un docteur ? mais que peut la médecine sur un ange ? Pourtant tous les symptômes fâcheux avaient disparu... Ah ! si c’était toi, damné Paul, dont le souffle fît pencher cette fleur divine, je t’étranglerais de mes propres mains. Nancy ne subissait le regard d’aucun jettatore, et elle est morte. – Si Alicia mourait ! Non, cela n’est pas possible. Je n’ai rien fait à Dieu pour qu’il me réserve cette affreuse douleur.



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